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Le Divorce belge
La
décision de réunir la Wallonie à la France est lourde de conséquences. Elle
ne pourra être prise à la légère et se devra de revêtir une légitimité
incontestée. Le
jour où les Wallons se poseront officiellement la question de l'opportunité
du maintien de la structure de l'Etat belge et qu'une majorité - une large
majorité même - aura marqué son adhésion au seul projet d'avenir porteur pour
notre région, celui d'une réunion à la France, les raisons même de
l'existence de la Belgique auront, de fait, cessé d'être. Il conviendra
cependant d'y mettre les formes et d'éviter toute mise en question de la
légitimité de cette démarche. Ne perdons cependant pas de vue que le divorce
belge ne se fera pas sans certaines zones d'ombre. Ne serait-ce que parce
qu'aucune charte constitutive d'un Etat ne prévoit à l'avance les moyens et
les modalités permettant d'arriver à la dissolution de celui-ci. Cette
décision est tellement lourde de conséquences qu'elle nécessite d'avoir
l'assurance qu'elle rencontre bien l'adhésion de la population. Pour ce
faire, à première vue, le recours au référendum semble le moyen idéal pour
obtenir cette photographie de la volonté des gens. Mais le référendum n'est un
procédé démocratique qu'à la condition d'être présenté, en toute honnêteté, à
un peuple bien informé. Avec un référendum orienté, quelques questions mal
posées et une propagande habile jouant sur la peur du changement, les
partisans du " mythe belge " auraient beau jeu d'y
trouver une nouvelle légitimité. De plus, que se passerait-il si, tout comme
lors de la question royale, cette consultation populaire révélait l'abîme
séparant nos deux communautés ? Faudrait-il alors organiser un deuxième
référendum en tenant compte des résultats du premier, et ainsi de
suite ? Suite
à la régionalisation, la Wallonie s'est dotée d'une structure
représentative : le Parlement wallon. De plus, elle continue d'envoyer
son lot de représentants au fédéral. C'est à tous ces élus qu'il incombera
d'exprimer officiellement la volonté du peuple. Celui-ci devra donc choisir
ses représentants en fonction des idées et du programme défendus de façon
claire et précise par les partis politiques. De cette manière, il ne
subsistera aucun malentendu. Telle sera l'expression officielle d'une
autorité représentative qui pourra alors, tel que le préconisait le Général
de Gaulle, s'adresser officiellement à la France, celle-ci sera alors
légitimement autorisée à répondre. Reste
à déterminer à quel moment et de quelle manière se prononcera ce divorce des
Belges ! L'analyse des diverses crises communautaires qu'a connues la
Belgique depuis la fin de la seconde guerre mondiale permet d'avancer une
constatation : l'échéance rétrécit comme une peau de chagrin à chaque
fois. Les responsables politiques flamands n'hésitent plus à fantasmer sur
2002, la date symbolique du 700ème anniversaire de la bataille des
Eperons d'Or, mais aussi l'année du passage à l'Euro. Il ne leur sera dès
lors plus nécessaire de saborder le franc belge et de créer un franc flamand.
D'autres analystes parlent d'échéances beaucoup plus lointaines. Il
serait cependant plus sage d'affirmer que cette séparation s'effectuera plus
que certainement lorsque les Flamands trouveront plus d'avantages financiers
à prendre leur indépendance, plutôt qu'à continuer de vider la coquille
Belgique de sa substance et de sa moelle. Pour
ce qui est du scénario, je ne résiste pas au plaisir de m'inspirer librement
de celui avancé en 1983 par François Perrin : " Le
Gouvernement tombe sur une question de principe, sur un sujet en soi anodin,
mais qui touche et électrise les deux communautés. Aucune solution de
rechange n'apparaît. Le Roi est acculé à dissoudre les Chambres. Les
élections ne résolvent rien. Les négociations classiques échouent. Les
informateurs, négociateurs, conciliateurs et autres navetteurs politiques
échouent aussi. Cela dure des semaines, peut-être des mois. L'économie s'en
ressent. Les Flamands s'énervent. Les journalistes s'excitent. La presse
flamande hurle à la mort de l'Etat. La presse francophone se lamente ou verse
dans l'imprécation solennelle anti-flamingante. Des nostalgiques adressent un
appel au Roi : " Sire, il n'y a plus de
Belges... ". L'Echo de la Bourse demande un gouvernement de
techniciens. Les fédéralistes s'en prennent à la Constitution. Mais, les
Flamands s'en moquent et songent sérieusement à convoquer le Vlaamse Raad
pour que celui-ci, fort de sa légitimité basée sur le suffrage universel, se
proclame " Congrès national flamand " ; l'exécutif
démissionne pour faire aussitôt place à un gouvernement d'union nationale
flamande. L'indépendance flamande est proclamée par décret spécial à Brussel.
La Belgique a vécu. Le gouvernement flamand s'installe à Brussel, capitale de
la Flandre et offre à l'exécutif wallon de négocier pacifiquement la
liquidation de l'Etat. Victimes
de leur cécité, sous le coup de la stupeur, du désarroi et de la panique, les
Bruxellois et les Wallons se retrouvent ainsi, à leur corps défendant, Belges
tout seuls. Le scénario irréel de patriotes wallons et bruxellois
anéantissant le coup d'Etat flamand par la force et restaurant la Belgique
unie autour du Philippe et Mathilde est à ranger au rayon des idées
burlesques. La réplique politique francophone doit être immédiate. Un
gouvernement de la Communauté Wallonie - Bruxelles est aussitôt constitué. On
négocie avec les Flamands et le remembrement se fait sans violence. Tous les
conseils communaux bruxellois sont appelés par le gouvernement de la
Communauté Wallonie-Bruxelles à se prononcer sur leur appartenance à cette
communauté ; ceux de la périphérie qui ont une majorité dans le même
sens en font autant, ainsi que celui des Fourons. Les Flamands, furieux, ne
reconnaissent rien, mais ne peuvent rien empêcher. Une nouvelle frontière est
ainsi fixée en tenant compte, d'une façon démocratique, de la volonté des
habitants, en conformité avec les souhaits de l'Union européenne. Le
gouvernement de la Communauté Wallonie-Bruxelles reconnaît le droit à
l'acquisition de la nouvelle nationalité flamande à tous ceux qui le
demandent à Bruxelles, dans la périphérie et dans les Fourons, avec tous les
droits politiques et culturels que cela implique. La
négociation est ouverte pour sortir d'indivision, dans le calme, en prenant
le temps nécessaire. Un comité mixte des deux gouvernements gère ce qui reste
provisoirement en commun. Les litiges, y compris territoriaux, sont portés
devant la Cour de droit international qui siège à La Haye . Puisque
personne ne déménage, personne ne chasse personne. La révolution est blanche
et pacifique car l'opinion publique de part et d'autre refuse tout recours à
la violence. " (Extrait et inspiré par le livre de Jules Gheude :
François PERIN - Ecrits et mémoires). Mais
depuis 1983, l'évolution des mentalités nous permet d'y ajouter une fin
encore plus heureuse : " Préparée par les diverses branches du
mouvement réunioniste, la population soutient ses représentants politiques
dans leur démarche en vue de rapprocher la Communauté Wallonie-Bruxelles de
la France, plaçant de ce fait celle-ci dans une perspective toute différente
lors des négociations avec la Flandre. Forts de nos atouts, nous devenons la
23ème région de France et nous nous intégrons dans une nation qui
compte en Europe et dans le monde. La
Flandre qui, elle, veut se faire reconnaître en tant que nouvel Etat au
niveau international est obligée de transiger quant à la fixation de ses
nouvelles limites territoriales en accord avec les populations locales et les
Etats voisins. Il n'est plus question de 60/40 dans nos rapports de
force, mais de 1 à 10 et dans l'autre sens. Voilà qui change entièrement les
perspectives lors des discussions relatives au partage de l'héritage de
l'Etat belge. Certains
s'inquiètent de l'avenir de la famille royale. Mais le Roi, hormis ses
richesses personnelles, se voit attribuer une solide indemnité lui permettant
de jouir tranquillement de sa retraite ... dans le Sud de la France ! Chacun
se retrouve maître chez lui et les rapports commerciaux privilégiées entre
nos deux régions perdurent, imperturbablement car le capital n'a pas d'état
d'âme. Les relations entre nos deux peuples étant clarifiées, elles ne souffrent
plus d'aucun malentendu et les contacts entre individus ne s'en portent que
mieux. Les Wallons continuent à se rendre à la Mer du Nord, pardon à la
Vlaams kust, pour y manger des moules. Ils sont simplement, cette fois-ci,
officiellement dans un pays étranger. Même si celui-ci peut leur sembler fort
proche. Tout au plus certains nostalgiques regrettent la disparition des
Diables rouges... " Eric
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