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LES FRANÇAIS VOUDRONT-ILS DE NOUS ? La
France voudra-t-elle de nous? La question est posée avec tant d'angoisse dans
la voix que l'on remarque tout de suite combien le travail démoralisateur de
la Flandre triomphante a porté ses fruits dans les esprits. Pas facile, au
sortir de l'échec du mariage belge, d'oser aller déclarer sa flamme à
Marianne. Les Wallons doivent pourtant avoir confiance en leurs moyens et
admettre qu'ils ont de bien beaux arguments pour séduire l'élue de leur cœur. Pour
se mettre en valeur, la Flandre aime diffuser à l'envi une image négative de
la Wallonie. Dès que l'occasion s'en présente, les médias du nord du pays
n'hésitent pas à se gargariser de nos malheurs et des différences économiques
entre nos deux régions. Toute la vie politique belge est viciée par cette
opposition constante entre le nord et le sud du pays. A la longue, faute de
leur en proposer une autre, c'est cette image d'eux-mêmes qui finit par
s'imposer aux Wallons. Pourtant, toutes les études récentes tendent à
inverser la tendance et à démystifier le mythe du Wallon profiteur, vivant
aux crochets de la Flandre laborieuse. Malheureusement, ces informations
positives n'ont pas le même retentissement que les dénigrements favorables au
renforcement de l'image d'une Flandre triomphante, capable bientôt - si
nécessaire - de se débrouiller toute seule. Alors,
les Wallons, encore tout marris – libérés? – de l'échec du mariage imposé,
entre nos deux peuples, en 1830 par les grandes familles de l'époque,
auront-ils encore assez d'audace pour oser déclarer leur flamme à celle qui,
tout naturellement et ce depuis bien longtemps, hante leur cœur. Car, avouons-le,
il en faut du courage, après un échec, pour oser se porter de l'avant et
penser à s'unir avec une nouvelle compagne. "Voudra-t-elle
de nous ?" "Comment digèrerions-nous un refus ?" Voilà bien là la teneur de nos
angoisses. Soyons
fiers, hardis et conscients de nos atouts. Mais surtout, ayons confiance en
celle avec qui nous voulons lier notre destin. Oui, la France voudra de nous!
Bien sûr, officiellement nous n'avons jamais reçu de réponse à une question
que, de façon tout à fait officielle, la Wallonie n'a jamais posée aux
autorités françaises. Officieusement, cette interrogation est pourtant
souvent revenue lors de contacts informels, de rencontres à titre privé, de
manifestations dans le cadre d'intérêts communs et là, la réponse est
toujours la même: "La France respecte le principe de non-ingérence
dans les affaires intérieures d'un Etat souverain." Voilà pour la
réponse " officielle ",
" l'officieuse " suit souvent de la façon suivante: "Mais
si les Wallons …" ou encore "Ne considérez pas les prudences
diplomatiques françaises comme un refus poli de vous voir nous
rejoindre…" Cette
double réponse, respectueuse du bon droit des Etats et des peuples qui les
habitent, se retrouve dans la déclaration du Général de Gaulle: "Si
un jour une autorité politique représentative de la Wallonie s'adressait
officiellement à la France, ce jour-là, de grand cœur, nous répondrions
favorablement à une demande qui aurait toutes les apparences de la
légitimité." Voilà,
le décor est planté et il doit être complété par l'information
suivante ; la constitution française prévoit la possibilité de cette
réunion. Contrairement aux idées reçues, les frontières des Etats ne sont pas
fixées de façon immuable. La Savoie n'a rejoint la France qu'en 1860 et les
communes italiennes du col de Tende en 1947 suite à un référendum organisé
sous le contrôle d’observateurs de pays neutres (Pays-Bas, Suède, Suisse). Il
y a seulement quelques années, nous avons assisté à la réunification de l'Allemagne
et à la scission de la Tchécoslovaquie. Ce sont des exemples de modifications
de frontières réussies, sans effusion de sang, au contraire du drame
yougoslave… Nous
venons de préciser que la France s'était ménagé des moyens de nous accueillir
si nous en émettions le souhait. Mais pour quelles raisons le ferait-elle?
D'abord, parce que de mémoire d'historien, on n'a jamais vu un Etat refuser
de s'agrandir pacifiquement, surtout lorsqu'il s'agit d'incorporer à la
nation un peuple aussi proche géographiquement et culturellement que les
Wallons par rapport aux Français. Car bien que possédant nos spécificités
régionales, tout autant que les Bretons, que les Corses ou les Provençaux,
nous sommes de culture française et non pas belge. Cette
notion de Région wallonne dans le cadre de la France actuelle mérite d'être
développée. En incorporant l'hexagone, nous deviendrions la 23ème
région de France mais, par ordre d'importance, en terme de population, la
Wallonie se situerait au cinquième rang, derrière l'Ile de France, la Région
Rhône Alpes, la Provence Côte d'Azur et la Région du Nord Pas-de-Calais. En
terme de poids économique, en référence à la notion de produit intérieur brut
(PIB), la Wallonie se retrouverait à égalité avec le pays de Loire et toujours
au cinquième rang des Régions françaises. Nous serions donc tout sauf le
parent pauvre de l'économie française! Quel que soit le critère de
classement, il n'y aurait donc aucune raison de penser que la Wallonie serait
considérée comme la petite dernière. La
Wallonie restera telle qu'elle est, elle gardera son âme, et bénéficiera,
comme les autres Régions de France, d'une large politique de décentralisation
et d'autonomie dans la gestion des affaires locales. En France, la solidarité
entre les régions n'est pas un vain mot, elle ne doit pas se renégocier
constamment comme en Belgique car elle est inscrite dans le contrat social
républicain. Voilà qui nous changerait de la confrontation perpétuelle entre
communautés que nous connaissons dans le cadre du confédéralisme actuel. Les
Wallons ont des atouts économiques dont ils peuvent être résolument fiers, un
réseau de communication exemplaire, des complémentarités évidentes avec le
Nord Pas-de-Calais, etc. Les investisseurs ne s'y sont pas trompés puisque
sur les 100 premières entreprises en Wallonie, 37% des chiffres d'affaires
sont réalisés par des filiales de groupes français. La France absorbe à elle
seule 32% de nos exportations de marchandises, ce qui est deux fois plus que
l’Allemagne qui vient en deuxième position. Nos
arguments sont donc autres qu'exclusivement géographiques. De plus, dans le
cadre de l'Europe, le fait pour la France de s'agrandir de 16.844 km2
(3% de son territoire actuel) et de voir sa population augmenter en une fois
de plus de 3,5 millions d'habitants, lui permettrait de renforcer sa position
vis-à-vis de l'Allemagne réunifiée. De même qu'en cas d'un élargissement
futur de l'Europe à 25 ou 26, cela ne resterait pas sans conséquence quant à
la répartition des pouvoirs de décisions au niveau du Conseil de l'Europe. Un
pays ne serait plus représenté par une seule voix, mais par plusieurs en
fonction de son importance. D’où l’importance pour la France de nous
accueillir pour renforcer sa position sur la scène européenne. Notre
statut de jeune fiancé est donc nettement plus enviable que certains
souhaiteraient nous le faire croire. Ayons confiance en nous et en l'intérêt
que la France ne manquerait pas de nous porter. Eric SMETS |