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LA FIN DE LA BELGIQUE DE MON GRAND-PERE Par
un curieux hasard linguistique, on remarquera que les Flamands sont
séparatistes et que les Wallons sont rattachistes. Au-delà du jeu de mots,
c'est toute la différence de conception de société qui s'exprime dans ces
termes. Là où les premiers veulent se replier sur eux-mêmes afin de magnifier
leur propre culture, – quitte à aller à l'encontre de certaines directives
européennes: protection des minorités, droit de vote des étrangers, etc - les
seconds souhaitent s'ouvrir à un destin plus grand, à aller à la rencontre de
l'autre. Cette schématisation est un bon résumé de la situation. Mais il ne
faudrait pas croire que celle-ci est aussi simple car, en Belgique, pays du
surréalisme, rien n'est vraiment simple… Tous
les voyants institutionnels nous montrent que, sous l'influence du mouvement
flamand, nous nous dirigeons vers le séparatisme. Les seules questions
restantes étant quand et comment? Au vu de ce qui s'est passé
depuis la création de la Belgique, on peut répondre de façon plus ou moins
précise: au moment et de la façon qui seront les plus favorables à la
Flandre! Depuis plus de cent ans, au fil des revendications flamandes, c'est
le Nord du pays qui mène la Belgique, le mouvement wallon ne réagissant
malheureusement qu'au coup par coup, incapable d'anticiper les crises. A
force de refuser l'affrontement et de reculer, même pas à pas, la Wallonie a
fini par se retrouver dans une impasse, exactement là où le mouvement flamand
désirait qu'elle aille. Si
nous comprenons et pouvons approuver la volonté flamande de s'émanciper et de
s'affirmer, nous ne pouvons accepter que cela ne se fasse qu'à nos propres
dépends. Une nation qui ne pourrait exister qu'en opposition à une autre sera
toujours quelque part en manque d'identité. Si les Flamands ont un sentiment
d'appartenance à une nation, la Flandre et non la Belgique qui n'est qu'un
état, les Wallons, reconnaissons-le, n'ont pas de sentiment équivalent. On
peut même dire que les Wallons ne sont belges que par soustraction. N'étant
ni Flamands, ni Bruxellois, ne se sentant pas particulièrement appartenir à
une nation wallonne, ils sont plutôt attachés à la fois à une de ses
composantes locales (liégeois, namurois, carolos…) et à une culture romane
commune. Il n'y a pas de sentiment nationaliste wallon car il n'y a pas de
nation wallonne, tant au sens linguistique que culturel ou historique. La
seule nation qui réponde à ces critères porte un nom, c'est la France. La
bourgeoisie de 1830, pour maintenir ses privilèges, nous a privé du rattachement
à cette nation. Pour justifier cet état de fait, on nous a volé notre
histoire, la remplaçant par une vision tronquée (on a discrètement escamoté
la riche histoire de la principauté de Liège pour cause de non-conformisme
avec la version officielle) et unitariste d'une Belgique séculaire remontant
à Jules César (De tous les peuples de la Gaule…) Tout le début de
l'histoire de la Belgique d'après 1830 doit se comprendre comme faisant
partie d'une politique menée dans le but de se distancier de la France et de
l'influence qu'elle exerçait – et exerce encore – sur notre vie quotidienne.
Car tout, dans notre culture, est français, même si nos élus essayent
actuellement de remplacer ce terme par francophone. Quelle hérésie que de
parler de littérature francophone de Belgique par exemple! Nous parlons, nous
écrivons, nous pensons, nous rêvons en français! Et s'il existe quelques
particularités spécifiques à nos régions, il en est de même pour toutes les
régions de France. Cette diversité est la source même de la richesse de cette
culture commune. Cette
culture, nos aïeux l'ont défendue en refusant le bilinguisme au début du
siècle. Car pour eux, l'utilisation de la langue française était le symbole
d'une certaine évolution sociale. N'ayant pu nous obliger à embrasser leur
langage et leur culture, les Flamands ont œuvré à protéger leur territoire
(fixation définitive de la frontière linguistique) et à bétonner
l'utilisation des langues. Ces revendications, ces décisions, ces obligations
légales obtenues par le mouvement flamand au fil des ans, doivent être
comprises dans un but de sauvegarde d'une culture menacée par l'attrait
toujours très puissant du français. Pour
magnifier sa propre culture, la nation flamande n'a eu de cesse de se mettre
en évidence en se plaçant en opposition avec le sud du pays. Forts de leur
majorité numérique depuis l'instauration du suffrage universel, les
nationalistes flamands ont œuvré à discréditer l'image et l'identité
wallonne, au point d'imposer leur vision réductrice au sein même de nos
populations. L'exaspération des Wallons face aux exagérations du
flamingantisme est justifiée et ne date pas d'hier. Bien sûr, nous ne vivons
pas – encore – dans un pays strictement dominé par la Flandre, mais dans un
Etat dont une des composantes, forte de sa majorité, a détourné, au fil des
ans, à son profit, la plus grosse partie des moyens de développement. Cette
triste constatation n'est pas récente, elle se répète – sans beaucoup de
contestations – depuis le début du siècle. Extrait
d'une affichette de 1912 des Ligues Wallonnes dénonçant le
"déséquilibre" entre le pourcentage de volontaires wallons en 1830
et les dépenses publiques consenties pour la Flandre. "Wallons, c'est en grande partie à vous que la
Belgique doit son indépendance. Est- ce
pour vous récompenser que tous les avantages vont aux flamingants? Lisez Wallonie Région flamande Contributions en 1909 156 millions 143 millions Dépenses extraordinaires Travaux publics en 1910 10 millions 48 millions Chemin de fer 0 34 millions Canaux - Rivières, 1830 à 1906 105 millions 177
millions Ports et côtes 0 253 millions Extrait
de la seconde des trois Conclusions générales d'un Rapport au gouvernement du
20 mai 1947 du Conseil Economique Wallon. Le pouvoir central a
systématiquement négligé la Wallonie. Nous avons dénoncé les maux dont souffre la région wallonne. Or,
nous sommes forcés de constater que, loin d'y
porter remède, le pouvoir central a négligé la Wallonie pour porter sa
sollicitude principalement vers Bruxelles et la région flamande. Voici quelques exemples que nous
avons relevés au cours de notre étude: a) De 1920 à 1938, on a dépensé, pour
les voies navigables (indépendamment des travaux du canal Albert) 1.700
millions en pays flamand et 341 millions seulement en Wallonie. Tandis qu'on effectue en Flandre des
travaux coûteux et d'une utilité contestable, tels ceux du port de Zeebrugge,
on n'a pas élargi le canal de Charleroi à Bruxelles, indispensable au
développement de l'industrie du Hainaut… c) En matière de routes, tout le
système est basé sur la centralisation par Bruxelles, tandis que la Wallonie
attend toujours une grande ligne de communication de Tournai à Verviers. Les
seules autoroutes actuellement construites se trouvent en pays flamand. d) En matière de chemins de fer, la
plupart des travaux effectués depuis vingt ans sont situés en Flandre… g) Tous les organismes para étatiques
dispensateurs du crédit ou dirigeant l'économie sont concentrés à Bruxelles.
La représentation des Wallons dans ces institutions est absolument
insuffisante… h) La politique familiale des
pouvoirs publics avantage la région flamande… i) La politique économique du
gouvernement, pendant l'entre-deux guerres, a donné la préférence aux
intérêts économiques flamands sur les intérêts wallons… En présence de ces faits accumulés,
limités au seul domaine économique qui est le nôtre, la conclusion s'impose: le pouvoir central a ignoré ou
négligé les intérêts wallons et il a une responsabilité directe dans la
situation économique actuelle de la Wallonie. Ce
rapport rédigé il y a plus de cinquante ans semble pourtant malheureusement
d'une criante actualité… On peut donc dire que la Flandre, soucieuse de son
propre développement, a financé celui-ci en grande partie avec l'aide des
moyens nationaux dont elle contrôlait la plus grande partie des postes de
décisions. A contrario, la Wallonie doit une partie de son retard économique
au fait que les moyens nécessaires n'ont jamais été répartis de façon
équitable entre le nord et sud du pays. La
Belgique de mon grand-père, unie, chaleureuse et solidaire entre ses diverses
composantes (l'union fait la force!) n'est plus qu'un leurre entretenu par
des politiciens francophones peu enclins à se faire rappeler toutes les
défaites encourues, toutes les concessions accordées. Celles-ci ont été
tellement nombreuses que l'on a trouvé un terme spécifique à notre pays pour
ces diverses déculottées: le compromis à la belge ! La Belgique va
vers le séparatisme car c'est la volonté politique des représentants du nord
du pays. Et, afin de mettre un terme à cette idée reçue que ce sont seulement
les politiciens qui veulent cette séparation, rappelons que ceux-ci sont
choisis par le peuple en toutes connaissances de cause et que les électeurs
du nord du pays peuvent choisir d'autres représentants que ceux qui, de
remises en question d'accords à peine signés, en non respect de pactes à
peine négociés, œuvrent toujours dans le même sens. Ne pas vouloir le
constater serait nier la réalité.
Avant
l'accomplissement de la réforme fédéraliste, la Belgique a démantelé
elle-même ses grandes organisations représentatives de l'opinion publique,
qu'elles soient politiques, économiques, sociales, philosophiques ou
religieuses. Depuis, l'Etat central a vu ses compétences ramenées à portion
congrue. Examinons-les de plus près. Les "Affaires étrangères".
A l'heure de l'Europe, que représente encore la Belgique dans l'organisation
mondiale? La "Défense nationale". Dans ce domaine aussi, un
petit pays comme la Belgique a de moins en moins de pouvoir. La "Justice",
souvent critiquée, souvent submergée, difficile à réformer et victime, à
Bruxelles, des lois linguistiques, elle résiste encore aux velléités
régionalistes, solutions que certains n'hésitent plus à avancer pour résoudre
ses problèmes. Restent les "Finances" et la "Sécurité
sociale." Les Flamands veulent obtenir plus d'autonomie fiscale et
régionaliser les pans de la Sécurité sociale qui les intéressent (pas les
pensions car les dernières projections démographiques prouvent qu'elles leur
seront défavorables d'ici à peine quelques années!). Nous touchons là à un
problème essentiel quant au maintien même d'un Etat: la solidarité qui unit
ses citoyens. Si celle-ci n'existe plus, cet Etat n'a plus de raison d'être.
Et c'est ce qui arrivera lorsque l'on touchera aux Finances et à la Sécurité
sociale. Si nous ne sommes plus égaux devant la contribution que chacun doit
verser à la communauté sous la forme d'impôts et de taxes diverses et si nous
ne pouvons plus en attendre le même retour, sous forme de services fournis
aux citoyens ou de versement d'allocations, alors quels seraient encore les
liens qui nous uniraient? Ceux-ci
sont tellement vacillants que certains n'hésitent plus à dire que seul le
sport et la maison royale tiennent encore la Belgique unie. Pour le sport, à
force de scinder les diverses ligues nationales en branches francophone et
flamande, on doit constater que seuls les Diables rouges font encore
réellement office de vitrine de l'unité nationale. Et encore, car lorsque les
résultats ne suivent plus, les sélections de l'entraîneur sont souvent
critiquées en fonction de critères non plus sportifs, mais d'appartenance
communautaire. Mais combien de temps le football, le sport roi, restera-t-il
encore national? Non, en cette période de Mathildemania, c'est encore la
maison royale qui fait office de plus sérieux ciment de la nation. Saoulés
par les médias d'informations toutes plus inintéressantes les unes que les
autres, les Belges boivent du Philippe et Mathilde à tous les repas.
Si, comme pour tout être humain, nous ne pouvons que nous réjouir de leur
bonheur individuel, le récit de leur moindre fait et geste dans des voyages
qui n'ont pas le moindre intérêt pour la majorité des citoyens, finit par
énerver. Laissons cependant à certains extrémistes flamingants les
manifestations vociférantes et violentes et saluons plutôt, avec tout
l'humour nécessaire, cette revendication incongrue de "Laurent,
Président!". Un président! Et oui, pourquoi en 2001, avons-nous
toujours un roi à la tête de l'Etat et pas un président élu? Simplement parce
que, fort de leur majorité numérique, tout comme pour le choix d'un Premier
Ministre, les Flamands seraient systématiquement gagnants. De toutes façons, soyez
certains que jamais ils n'accepteraient d'être gouvernés par un francophone. Voilà
pourquoi, en conclusion, nous pensons pouvoir afficher le même scepticisme,
quant à l'avenir de la Belgique, que Léopold Ier en 1859, lorsqu'il
déclarait: "La Belgique n'a pas de nationalité, et vu le caractère de
ses habitants, ne pourra jamais en avoir." Le mouvement national
flamand n'a jamais failli dans sa cohérence durant cent septante ans de
luttes et d'existence. Croire que les choses vont en rester au stade actuel
serait un leurre. 60% des Wallons trouvent d'ailleurs que les relations entre
nos deux communautés vont en se dégradant. Mais pouvons-nous en rester là à
attendre la suite des événements selon le bon vouloir de nos amis du nord du
pays? N'avons-nous pas, en Wallonie, le droit de préparer notre avenir au
mieux de nos intérêts? Et sur le sujet, nous sommes de plus en plus nombreux
à penser sérieusement que cela se passera dans le cadre d'une réunion avec la
France. Eric SMETS |