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LE MOUVEMENT WALLON VU A TRAVERS SON ATTACHEMENT ENVERS LA FRANCE
Si
le mouvement flamand est essentiellement offensif et revendicatif, le
mouvement wallon s'est seulement efforcé, pendant un demi-siècle, de colmater
les brèches dans les digues de l'unité belge. La
Belgique de 1830 à 1914 La
Belgique de 1830 a ignoré le flamand. Le prestige de la langue française
avait voilé aux yeux des Wallons la lente montée flamande. Se sentant
parfaitement à l'aise dans un pays dont la langue française était le ciment,
il est normal que les Wallons et les Bruxellois d'expression française aient
défendu l'Etat qu'ils avaient fait. Mais l'éveil des nationalités au XIXe
siècle qui est lié étroitement au patriotisme linguistique allait changer les
choses. Comme l'a écrit G. Kurth: "Les peuples, à l'heure qu'il est,
ont conscience de trouver dans leur langue maternelle l'expression la plus
pure de leur génie, l'instrument adéquat de leur pensée, le symbole glorieux
de leur civilisation. Les Flamands disent: De taal is gansch het volk, la
langue, c'est tout le peuple." Certains
Wallons avaient le culte de leur dialecte, mais ils ne pensaient pas à en
faire un instrument de communication moderne. Il y avait longtemps que le
français était la langue commune d'une civilisation à laquelle participaient
nos terres romanes. L'usage du français était d'ailleurs considéré dans le
peuple comme le signe de l'élévation sociale. C'est cependant souvent parmi
les érudits, les poètes et les dramaturges soucieux de conserver la langue
populaire que se recrutèrent les premiers défenseurs de la Wallonie. En
même temps qu'ils rendirent sa dignité au dialecte, philosophes et écrivains
lancèrent le mouvement wallon. Celui-ci eut d'abord exclusivement des
préoccupations culturelles. En décembre 1856 fut créé la Société Liégeoise de littérature
wallonne, dont le but
était d'encourager les productions en Wallon liégeois, de propager les
bons chants populaires, de conserver sa pureté à notre antique idiome, d'en
fixer autant que possible l'orthographe et les règles et d'en montrer les
rapports avec les autres branches de la langue romane. Cette société ne
fut cependant pas un centre combatif. Le passage du sentiment liégeois au
sentiment wallon s'est fait insensiblement et la crainte de la Flandre a été
décisive. En 1856 fut également créé par les Chambres, une Commission des Griefs
flamands. De décennie en décennie, ses exigences et sa puissance
grandirent. Dans l'Etat belge unitaire, la domination des Flamands bilingues
était inéluctable. Une réaction de peur dressa les Wallons contre les mesures
décidées ou projetées pour étendre dans le pays la connaissance des deux
langues. L'immigration
wallonne dans la capitale, où les Wallons étaient nombreux et où ils aimaient
à se retrouver dans des cercles régionaux plein de vitalité, et la place
importante que ses membres occupaient dans l'administration centrale, toute
française d'expression, expliquent la création en février 1888 d'une Société de propagande wallonne à Bruxelles. Cette société prit l'initiative de convoquer le
premier Congrès wallon les 20 et 21 juillet 1890, et garda la haute main sur
ceux qui se réunirent les trois années suivantes. Ces congrès avaient pour
objectif principal d'organiser la résistance wallonne face aux
exagérations du flamingantisme. L'action
wallonne qu'ils envisagent doit surtout multiplier les sociétés littéraires
dialectales. Leur autre préoccupation essentielle étant la sauvegarde des
intérêts matériels des fonctionnaires, voilà qui explique en partie leur
manque d'influence sur les masses. C'est
la formation en mai 1897 de la Ligue Wallonne de Liège qui relança le mouvement en mettant à l'étude la séparation
administrative. Les réactions de l'opinion wallonne restaient faibles. Les
militants ne se découragèrent cependant pas et, en 1905, la Ligue organisa,
lors de l'Exposition universelle de Liège, un Congrès qui avait pour but de
formuler et de regrouper les diverses revendications wallonnes, d'attester
l'existence et la vitalité d'un sentiment national wallon et de magnifier
notre belle Wallonie. Ce Congrès qui rassembla plus de 500 adhérents, eut
un réel retentissement et il marqua plus l'histoire du mouvement wallon que
les manifestations de la phase initiale. Cependant
les efforts de quelques hommes convaincus et ardents se heurtaient à une profonde
indifférence et quand H. Chainage présenta une liste wallonne à Bruxelles,
aux élections de 1910, il encourut un échec sévère. En
juillet 1912, la Ligue organisa à Liège un Congrès Wallon de combat. En août,
J. Destré publia sa retentissante Lettre au Roi (extrait: Une Belgique
forte de l'union de deux peuples indépendants et libres, accordé précisément
à cause de cette indépendance réciproque, ne serait-elle pas un Etat
infiniment plus robuste qu'une Belgique dont la moitié se croirait opprimée par
l'autre moitié?). Un Comité d'action wallonne fut
formé d'autant de délégués que de députés à la Chambre des représentants. Ce
Comité convoqua à Charleroi, en octobre 1912, une Constituante. De ses
travaux sortit l'Assemblée
Wallonne, calquée sur
le Parlement. La structure plus solide donnée au mouvement par la formation
de l'Assemblée Wallonne attira davantage les hommes politiques. L'année
suivante, celle-ci choisit un drapeau et fixa au dernier dimanche de
septembre, en souvenir des journées insurrectionnelles de 1830 et de
l'importance de l'action des Wallons lors de celles-ci, la fête nationale de
la Wallonie. Le mouvement était lancé et, à la veille de la première guerre
mondiale, il apparaît plus structuré et plus uni que jamais. Même si
l'audience dans la masse reste limitée, jamais les problèmes wallons, dans
tous les domaines, n'ont été examinés avec autant de sérieux et de
profondeur. L'après 14/18 La
Flamenpolitik, développée par l'occupant allemand durant la première guerre
mondiale, contribua, au lendemain de celle-ci, à l'affaiblissement du
mouvement wallon. Après la défaite de l'Allemagne et la libération du
territoire, tous les espoirs des milieux activistes flamands s'évanouirent et
la répression frappa les militants les plus compromis. En réaction, un
sentiment nationaliste et unitariste s'empara des populations francophones. A
l'époque, l'unité sacrée autour de la personnalité du roi Chevalier était à
l'honneur et les termes mêmes de séparation administrative rappelaient
par trop la politique de l'occupant et présentaient un caractère trop
sulfureux. Le mouvement wallon d'après guerre hésita longtemps à les remettre
en question et se cantonna dans des revendications unitaires teintées de
francophilie. Durant les années de guerre, quelques partisans du rattachement
de la Wallonie à la France profitèrent du conflit pour diffuser leurs idées.
En décembre 1917, la Revue France Wallonie, publiée à Paris, avait d'ailleurs
répandu le Petit Catéchisme de l'irrédentisme wallon. A Liège, les
soldats français avaient été particulièrement bien accueillis en 1918. Mais
on en était resté là. Dès
1922, quelques militants wallons plus hardis, tels J. Destré, s'éloignèrent
de l'Assemblée Wallonne et celle-ci se réduisit comme une peau de chagrin.
Dans ce contexte, à Liège, s'était constitué une Ligue d'Action Wallonne qui tint sept congrès entre 1924 et
1930. Né de cette Ligue, la Concentration Wallonne, dès 1930, rivalisa avec l'Assemblée Wallonne. Plus radicale,
elle répudia l'unitarisme, se lança dans l'étude des questions économiques et
préconisa le fédéralisme. Curé
de Courcelles, l'Abbé Mathieu tenta de conduire le mouvement wallon sur le
terrain électoral. Son Front
Démocratique Wallon,
fondé en 1936 à l'occasion du 9ème pèlerinage de Waterloo,
présenta au scrutin législatif de 1939 un Parti Wallon Indépendant, appuyé par un certain nombre de composantes de la
Concentration Wallonne. L'initiative électorale se solda par un cuisant
échec. Manifestement, ce genre d'entreprise était prématuré et avait suscité
bien des oppositions au sein même du mouvement wallon. L'unanimité
se fit pourtant pour critiquer la politique dite des mains libres,
inaugurée en 1936 par le roi Léopold III. Cette politique de neutralité
flattait l'opinion flamande dans la mesure où elle signifiait la rupture avec
une politique jugée pro-française. Cette politique engendra un énorme
ressentiment dans les milieux francophones. C'est en réaction à cette
décision que le 14 juillet est, depuis, fêté avec tant de faste à Liège.
Cette décision de Léopold III allait préfigurer d'autres attitudes du
souverain lors de la seconde guerre mondiale qui allaient fortement heurter
la population dans le Sud du pays. Le Congrès Wallon de 1945 et ses suites Les
changements, préparés depuis 1942 par les principales figures du mouvement Wallonie Libre, fondé suite à l'appel du 18 juin
1940 du Général de Gaulle, pour une Wallonie libre à côté d'une France libre,
furent officiellement entérinés lors du premier Congrès national wallon de
l'après-guerre. Celui-ci, organisé en octobre 1945 à Liège, avec la
participation de personnalités appartenant aux différentes formations
représentées sur l'échiquier politique wallon et de représentants de la
société civile. Sur 1.048 votants, 486 se déclarèrent partisans de l'annexion
de la Wallonie à la France, 391 pour l'autonomie de la Wallonie, 154 pour
l'indépendance et seulement 17 voix s'exprimèrent pour le maintien de l'unité
belge. Ce premier vote dit sentimental, suite à de ténébreuses
négociations d'alcôves, fut suivi d'un second vote dit de raison en
faveur du fédéralisme. Les résolutions adoptées lors de ce Congrès
provoquèrent de nombreuses réactions au sein des assemblées parlementaires; à
l'évidence, un malaise wallon existait! Un deuxième Congrès fut organisé en
1946 à Charleroi, mais il fallut attendre celui de 1950, tenu sur le thème du
retour du roi Léopold III, pour voir les militants s'investir à nouveau dans
le mouvement. Extrait
de l'intervention de Charles Plisnier au Congrès de 1945 avant que n'intervienne
le second vote: "Ce n'est pas notre volonté,
c'est la réalité qui compte et il me semble déjà, bien que je fusse
profondément et fermement partisan d'une réunion à la France, il me semble
déjà que prendre cette position aujourd'hui était, je ne dis pas non
seulement dangereux, car nous nous moquons des dangers (applaudissements),
mais était vain, car - disons le bien - si nous représentons ici réellement
la Wallonie, tous les hommes en
Wallonie ne sont pas arrivés pourtant à cette prise de conscience qui est la
nôtre! Camarades wallons, nous aurons
peut-être un jour besoin de la France, lorsque nous aurons fait cette
expérience ultime qui nous est demandée, lorsque nous l'aurons fait dans un sacrifice à la raison et au sens des
réalités politiques. Lorsque nous aurons fait cette
expérience ultime et si, comme je crains, cette expérience avorte, alors - j'entends le dire aujourd'hui - nous
serions justifiés à nous tourner vers la France et aucun reproche ne pourrait
nous être adressé, car cette expérience, nous la ferons en toute loyauté et
sans arrière-pensée d'aucune sorte. Alors, nous lui dirions:
"Maintenant, France, au secours!" et croyez le bien, elle viendra! (L'assemblée se lève, acclame
longuement l'orateur, puis chante la Marseillaise devant le bureau debout). Dans
l'Affaire royale, les événements agrandirent encore la faille entre
les communautés. Les oui favorables au retour du souverain s'élevèrent à 72%
des suffrages en Flandre pour 48 à Bruxelles et seulement 42 en Wallonie. Le
problème se dénoua cependant par l'abdication, en 1951, au dam des Flamands
qui s'estimèrent vaincus par une minorité turbulente et arrogante. De ces
journées insurrectionnelles qui devaient conduire à une marche sur Bruxelles
le 5 août 1951, on ne retiendra que les négociations secrètes menées dans la
nuit du 4 pour forcer le roi à se retirer. Lors de ces manifestations
populaires, on vit ressortir les drapeaux français et, tout comme lors des
événements de 1830, on entendit de nouveau la Marseillaise parmi les divers
chants révolutionnaires. Officieusement, on parle même de régiments français
massés à la frontière, prêts à intervenir à la moindre sollicitation... Cette
situation insurrectionnelle et l'expression de cette différence entre les
communautés allaient encore survenir lors des grandes grèves de 60. En 1962,
le gouvernement fixa de manière définitive la frontière linguistique. En
juillet 1963, une seconde loi renforça l'unilinguisme de chaque région et
définit le bilinguisme de rigueur dans l'espace Bruxelles-capital. En août
1963, un deuxième texte législatif partagea officiellement le pays en quatre
zones linguistique. Lors de la discussion de ces différentes lois, la
supériorité numériques des parlementaires flamands au sein des deux
assemblées avait prévalu. Face
à l'attitude fondamentalement unitariste des partis traditionnels, des
mouvements wallons de toutes tendances se créent au sein même de ces partis,
dont le plus connu fut sans nul doute le Mouvement Populaire Wallon d'A. Renard. Ces dissidences
aboutirent à la création de nouvelles formations politiques. Lors des
élections de mai 1965, ces différentes formations wallonnes réussirent à
décrocher deux sièges parlementaires. Les différentes composantes de l'Action Commune Wallonne fusionnèrent pour fonder un nouveau parti: le Parti Wallon, qui devint le Rassemblement Wallon en mars 1968. Ce parti recueillit
rapidement 10,64% de l'électorat wallon et disposait de 7 députés, un
changement radical du paysage politique wallon. Son but atteint: le fédéralisme,
il allait peu à peu se dissoudre. Les
mouvements wallons n'allaient pas se satisfaire de ce relatif chacun
maître chez soi et de nouvelles perspectives d'avenir furent avancées pour
la Wallonie. La plus évidente semblant naturellement une avancée vers une
certaine indépendance. Mais l'évolution économique et politique de la
Belgique et l'importance prise par l'Europe allaient amener les ténors du
mouvement à abandonner cette thèse pour reprendre celle qui était presque à
l'origine de la Belgique, le rapprochement avec la France. Cette solution se
présentant actuellement comme la seule alternative à une Belgique
belgo-flamande. Eric SMETS |